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PWA Sylt 2019

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John Carter

Ca en fera sourire certains, mais c’est certainement mon étape préférée du Tour. Je me retrouve enfin dans mon habitat de prédilection: l’air est vivifiant, les dunes s’étalent à perte de vue, façonnées par les vagues grises et illuminées par un ciel plein de nuances; surtout, les gens parlent une LV2 que je maîtrise mieux que l’espagnol, bien que ça reste limité. Si j’ai réussi à atténuer mon aversion pour les Canaries avec le temps, je ne m’y sentirai jamais aussi à l’aise que sur cette épreuve honnie par tous les mecs des îles du Tour. Et pourtant, ça navigue tous les jours.

Le traquenard planning est tombé sur Sylt cette année! Un accident de vélo m’a empêchée d’aller à Tenerife et comme il y a une discard pour 4 étapes (et zéro pour les hommes) il fallait que je vienne à Sylt qui n’était pas prévu au calendrier des congés; malheureusement il n’y avait pas assez de monde au boulot pour couvrir le rayon. J’étais prête à n’y aller que pour le week-end mais finalement je n’aurai pas eu besoin de sécher le taf: ma boss s’est décidée à se sacrifier le mardi aprem pour que je puisse partir le mercredi pour les 10 jours de Sylt.  J’aurai pu m’en tenir à mon habituel « ah bon ben tant pis alors c’est pas grave », mais la certitude que ça allait naviguer m’aura fait repousser les postes-frontières de ma zone de confort. J’ai failli en parler au directeur, l’exploit.

J’avais sérieusement envisagé de faire le trajet en train mais avec tous les rebondissements de dernière minute, je me suis lâchement rabattue sur l’option camion par facilité. En tout cas la Deutsche Bahn ne m’a répondu ni positivement, ni négativement concernant la présence de boardbags dans leurs trains, et les mails ont étés suffisamment évasifs pour être satisfaisants. Challenge accepted. Les 1300km se sont déroulés avec une fluidité exceptionnelle pour l’Allemagne dont les autoroutes sont toujours en travaux sur 50% du trajet, on dirait que le pire est passé. La meilleure partie reste celle en train entre le continent et l’île de Sylt, les pieds sur la banquette :p

WESTERLAND LES PINS

L’Autozug arrive au coeur de la ville de Westerland, elle-même en plein milieu de l’île. Cette ville cossue dont le seul charme est d’avoir été construite au pied de la plage me rappelle la Baule, avec son remblai, ses grands immeubles fades, ses rues commerçantes et tous ses signes ostentatoires de la bourgeoisie. Petites touches d’élitismes raffinées, les accès à la plage sont payants du lever au coucher du soleil et les préposés aux toilettes publiques sont tous noirs, ce qui finalement n’a rien de choquant lorsqu’on vient de France.

L’évènement cette année a connu quelques difficultés financières avec le retrait d’un des sponsors majeurs, ce qui a conduit à l’éviction du slalom qui représentait le plus gros budget de l’épreuve. Ce trou financier a pu être comblé grâce à une enveloppe marketing plus grün qui a attiré d’autres partenaires heureux de doter la plage de fontaines et les riders de gourdes made in RPC pour lutter contre le plastique. L’objectif est d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2025 si j’ai bien compris, à grands renforts de plants de mangroves et autres moyens devisés pendant le Green Seven Summit, un cycle de conférences d’experts qui se déroulait pendant la semaine. Pleine de bonne volonté, j’ai essayé de comprendre ce qu’il se racontait pendant la cérémonie d’ouverture, mais malheureusement mon allemand LV2 n’a pas fait le poids. Un des cameramans m’a gentiment traduit quelques phrases prononcées par une experte blonde qui déclamait ses convictions avec une véhémence croissante: « l’économie, c’est ce que l’on arrache à la Terre. Il serait temps de lui rendre ce qu’on lui a pris». A méditer. Je me renseignerai un peu plus sur les engagements de l’évènement l’année prochaine.

LES HUMEURS DE LA NORDIQUE

Un aperçu du spot est indispensable pour mieux appréhender la magie du lieu. Le sable est fait de grains énormes, presque blancs qui font crisser absolument tout ce que vous pensiez être étanche et vous sape une énergie folle quand vous essayez d’en extraire votre pied pour le poser un peu plus loin. Je suis certaine que les médecins prescrivent des sorties à la plage pour les enfants hyperactifs du coin, la viscosité est parfaite. A marée basse, la mer dévoile d’angoissants épis disposés tous les 100 à 200m environ; oui, mon appréciation des distances est très approximative.

 

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En arrière-plan…

 

Le spot est très changeant en fonction de la direction du vent: avec un vent side à side-on, les vagues sont tout ce qu’il y a de plus présentables avec un shorebreak parfois bien trapu. Il est assez difficile de sauter car le premier haut-fond est assez proche du bord et laisse peu de temps pour s’élancer. Entre celui-ci et celui du fond du spot, c’est le milieu d’un chaudron dont les mouvements de matières dépassent la conception qu’on se fait de l’élément liquide. C’est comme de naviguer au milieu des sillages d’une flotte de ferries, la sensation de devenir un bouchon de liège est impossible à décrire. Il est d’ailleurs souvent plus simple de sauter sur le bord retour lorsque le vent est onshore tellement les vagues sont déformées dans les tous sens par des retours d’ondes qui sortent de nulle-part. Pour l’anecdote, je me suis fait couler mon matos par le fond en me prenant ce que je pensais être une modeste moussette au fond du spot l’année dernière. J’avais commencé par m’accrocher au wish, puis en voyant que la mer continuait de m’aspirer vers les profondeurs, j’ai tout lâché après deux secondes d’apnée (je suis naze en apnée). Une fois revenue à la surface, rien. Après 30 secondes à fouiller du regard mon horizon immédiat, j’ai vu une tâche blafarde apparaître à mon vent: c’était le gréement qui avait fini par crever lentement surface, avec un moignon de pied de mât encore attaché à la rallonge. Je n’ai jamais vu la planche remonter.

ONSHORE TENDANCE TRIBORD

Quand c’est ONO, le vent est parfaitement onshore avec une petite tendance tribord selon les jours, et à partir d’une certaine taille de vagues, passer la barre devient infernal, au point que celui qui réussit cette épreuve préliminaire garantit parfois la réussite de son heat pendant que le concurrent poursuit son triathlon marche-nav’-nage. L’année dernière je me suis fait avoir une fois, j’avais réussi à passer la barre en une tentative sur un coup de pot 35 minutes avant mon heat avec 84L et 4,2 pour 35nds, et me trouvant un poil surtoilée, je me suis dit « mais tiens, si on allait mettre plus petit? Des fois que je repasse la barre aussi facilement, mouahaha! ». J’ai passé mon heat dans la mousse du bord, devant la plage. Une petite réminiscence de mes débuts en vague.

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J’allais dire qu’en freestyle, ils avaient la belle vie à ne pas avoir besoin de taquiner les vagues près du bord, mais je me rappelle de heats l’année dernière où le gars qui passait la barre et posait un move pourri gagnait sans difficulté quand l’autre était en train de couler dans le sable. En général, dès que c’est light, onshore et pourri, l’orga dégaine le freestyle comme on se défausserait de la Dame de Pique. Le foil et le slalom ont l’excuse du shorebreak pour rester sous la couette, avec un syndicat de poseurs de bouées qui a autant de pouvoir décisionnel sur les conditions adaptées à la course que SUD Rail en a sur le trafic ferroviaire pendant les grèves. Au grand dam des riders!

CAMPING SAUVAGE

Coté météo, tant que le vent ne tourne pas au Nord ou à l’Est, les nuits restent passablement dormables en camion et il ne pleut finalement pas tant que ça, il y a toujours une journée ou deux limites ensoleillées en fin d’épreuve pour tout faire sécher. A chaque fois je campe en Trafic plus ou moins aménagé sur le parking coureur qui est un entassement innommable de camping-cars, vans aménagés plus ou moins habités et voitures de location. Les appartements ont des coûts absolument prohibitifs, Maui et ses bicoques croulantes du début XXeme paraîssent abordables à côté. Pour les douches, j’utilise celle de la plage pour me laver les cheveux après une session devant les allemands héberlués devant tant de rootsitude. Pas d’inquiétude les gars, mon savon est biodégradable. Autre technique, aller courir le temps que ma température corporelle soit suffisante pour prendre une douche froide sur le parking. Effet wahou garanti ^^

Ce qui rend l’étape hyper agréable en dehors de la reconnexion à la nature à moitié à poil entre deux portières, c’est d’avoir un coin de la tente réservée aux riders où une équipe de bénévoles toutes aussi choutes les unes que les autres s’occupent de nous de 8h à 18h avec le petit dej, le dej, le thé/café/gâteaux de 16h, le wifi et un babyfoot. Une vraie salle de pause de start-up, il ne manque le happiness chief officer. Et, gros point positif, on n’a pas à lutter contre le soleil :p

En général j’aime bien venir avec mon vélo pour m’occuper les journées sans vent qui sont finalement assez peu nombreuses. En dehors de Westerland, l’île a un charme sauvage, avec des décors qui trouveraient toute leur place dans des contes de Grimm: dunes embrumées, toits de chaume, marécages… L’autre grosse attraction de Sylt, c’est la piscine municipale où les nostalgiques de sable chaud peuvent dégainer leur boardshort pour se rappeler la maison tout en regardant la pluie tomber de l’autre côté de la baie vitrée.

WINDSURF IST WUNDERBAR

Le windsurf est l’objet d’un engouement réel à Sylt, avec des épreuves de vague/slalom/foil organisées tout au long de l’année dont la PWA le point d’orgue. La Windsurf World Cup Sylt est l’objet d’une transhumance nationale dont le but est de regarder les athlètes péter des mâts avec brio et surtout, principalement, de faire la teuf à grands renforts de bières-saucisses ou vin blanc-gambas à la plancha pour les plus raffinés sur le village de l’évènement. La fréquentation est proche de celle de la Torche pour ceux qui s’en souviennent, avec une ambiance chauffée à blanc sur la plage par le commentateur dès qu’un ou une rider/euse allemand(e) commence à jouer les trouble-fêtes en quart de finale. Le public est plutôt de la génération de mes parents, voire carrément troisième âge lors de la cérémonie d’ouverture qui se déroule sur une estrade face à des gradins en arc de cercle. C’est toujours un moment mi-figue mi-raisin…

CHALEUR HUMAINE

Si le froid n’a pas réussi à vous achever, les soirées s’en chargeront. Le parcours de dépravation classique suit en général la triplette apéro au club des riders dans la tente à coups de bières aromatisées à 2,5% ou de la Jägermeister introduite illégalement. Fin de la musique à 22h en semaine et 23h les jours fériés. Next, resto/douche/mise en pli, puis direction la rue de l’American Bistro vers 23h-minuit. L’American, un bar/boîte assez coté avec entrée gratuite pour les riders, est un incontournable dans la soirée, même si la rue compte d’autres bars plus classiques et tout aussi sympas, comme l’Irish Pub et son Melonen Bowl. Ce cocktail constitué de billes de melons et d’autres ingrédients qui n’intéressent personne est idéal pour se remettre dans l’ambiance des catapultes à l’époque de la bataille d’Alésia. Même les serveurs sont complices.

Si la musique est sympa et que la soirée suit une bonne pente, la dernière étape avant de finir dans son lit ou devant la cuvette des toilettes, c’est le sulfureux Z1. La première fois que j’ai mis les pieds dans ce bar de strippeuses, juste pour voir à quoi ressemblait un bar à strip une fois dans ma vie, j’ai trouvé l’endroit l’endroit ultra glauque. La deuxième fois, j’étais tellement HS et bourrée que j’ai passé le temps de mon court passage le regard happé par les créatures au physique plus ou moins réaliste. Je me rappelle à l’instant la promesse pas du tout assumée de m’initier au pole-dance pour aller me la péter au Z1, je ne suis pas encore prête à tout pour me faire remarquer. Apparemment, quand tout le monde y va, c’est plus rigolo. Je crois que je préfère encore le babyfoot avec des inconnus.

Outre les festivités nocturnes, j’adore l’ambiance de cette étape qui réunit quasiment toutes les disciplines en une joyeuse bande de gais-lurons qui luttent contre l’ennui et la solitude comme ils le peuvent. Dès qu’on détache ses yeux de la masse mouvante des danseurs à l’American, il n’est pas rare de surprendre un regard fixe qui flotte vers le plafond et l’au-delà, émanant d’un rider adossé négligemment contre un mur, le verre passant mécaniquement de la main aux lèvres. La Coupe du Monde de Sylt, c’est aussi une centaine de déracinés volontaires jetés ensemble.

SYLT 2019

Cette année les jeunes canariennes sont venues se confronter au mythe, au fameux spot où-si-on-y-arrive-on-peut-naviguer-partout (plus je navigue partout, et plus je trouve cette phrase bidon). La jeune Maria Morales n’a pas réussi à passer la barre dans son heat, j’ai donc gagné sans trop de difficulté. Mon heat suivant contre Justyna était assez décevant, je savais que j’avais moyen de bien faire mais je suis restée collée en bas de la zone sans avoir la présence d’esprit de remonter le spot à pied. Pas d’upset.

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Les conditions étaient carrément potables pour le spot, on aura eu deux jours de side side-on on fire avec des heats où le talent slashait les vagues sans interruption, pour le grand bonheur des yeux. Antoine Martin a clairement tué tout le monde au surf avec des tweaks ni copiés, ni égalés, et le heat de Jeager-machin et truc était sublime.

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Dans la double les conditions étaient plus typiques du coin, avec de l’ONO plutôt tribord, avec des rampes qui collaient un max sur le bord aller. J’étais mal à l’aise en saut, et j’ai passé mon premier heat (contre Maria encore) sur un coup de bluff absolument magique. J’étais sortie sur l’eau bien avant mon heat histoire de ne pas répéter le non heat de l’année dernière, avec le chrono de Balz Müller (j’avais oublié le mien dans la précipitation du départ). Fausse bonne idée car il était réglé pour les heats de freestyle, et le temps que je m’en rende compte il était bien trop tard. Côté timing j’étais complètement paumée, je voyais Iballa à l’eau mais il manquait une ou deux rideuses du heats, personnes ne faisait grand-chose, ce qui m’a mis le doute quant au fait que ce soit bien notre heat. J’ai décidée de rentrer à la plage pour voir ce qu’il se passait, en surfant une vague au cas-où. Sur la plage je croise Alexia qui n’a pas réussi à passer la barre, Francisco Goya qui me fait un gros pouce en l’air, je ne pige rien, je repars sur l’eau, apparemment je suis passée. Bon. Euh, ok. Soit. Prochain heat contre Iballa qui m’a mis la misère, pour ma défense que je peux justifier mon absence de notes par le fait que j’ignorais qu’on pouvait sauter dans les deux sens. Au moins, j’ai passé la barre avant le heat, je n’ai rien pété (en venant à Sylt je laisse toujours mon amour-propre à la maison pour lui éviter de se vautrer trop souvent dans le shorebreak). Je finis 7eme avec le titre de Queen of Onshore décerné sur le live par Ben Proffitt, l’opération d’intox aura réussi de A à Z. Moins de bluff, tu meurs.

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Là je bluffais beaucoup moins

Thomas Traversa se sera facilement défait de tout le monde en montrant que même si c’est pourri et que même si Philip Köster n’est pas inspiré par les condices, il y a toujours moyen de caler un petit 360 de sous les fagots ou un surf frontside parfaitement potable. Le pauvre Marcilio aura fini la finale de la plus cruelle des façons, au fond de la plage sans réussir à passer la barre, malgré la logistique impressionnante déployée sur la plage avec du matos en double et un caddie au taquet. Justyna Sniady aura connu le même destin, on aura tout donné en tandem avec Caterina pour charrier le matos sur la plage mais la mer est restée implacable.

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Comme à la maison, vé!

Je ne suis pas hyper contente de mes heats où je n’aurai quand même pas foutu grand-chose à part des bords au large; les vagues demandaient d’avoir le sens du timing pour en sortir après un roller virgule racine de 3 juste avant d’entrer dans la zone de non-retour du shorebreak, comme à Pozo.

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Comme j’aime bien aller jusqu’au bout des choses, surfer une vague se transformait en opération kamikaze, et en général ça sonnait la fin du heat avec un retour au stand à pied. Impossible de remonter le spot et de repasser la barre directement! En revanche, posté sur ce chemin de croix, Francisco Goya rayonnait tellement de l’aloha vibe que nous, malheureux pélerins, ne pouvions qu’oublier notre humiliation.

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H1W1

Exceptionnellement je suis rentrée avant la remise des prix, le froid rendait les nuits difficiles et une épidémie de grippe décimait la flotte la flotte des coureurs un peu plus chaque jour. Je n’y ai pas coupé pour une fois, heureusement grâce à mon frère j’ai pu prendre le temps d’agoniser dans un vrai lit au milieu du trajet et de me faire dorloter par sa belle-famille que je rencontrais pour la première fois ^^

Je rajouterai une photo du camion blindé façon retour au bled, où s’empilait du matos d’Antoine Martin (grippé), des voiles de Robby Swift (grippé sévère) et les affaires de deux rescapés que j’emmènais loin de cette catastrophe sanitaire, Caterina que je déposais à l’aéroport d’Hamburg avec Nicolas Akgazciyan. Il manquait un siège mais nous avons su faire preuve de flexibilité ^^

Un grand merci à mon boss, à mon chéri pour le camion et à tous ceux qui m’ont donné un coup de main! Et maintenant, un repos bien mérité au fond des sièges de Delta en partance pour Maui, l’Aloha Classic, l’eau bleue, les cocotiers, et un endettement sur 5 ans. Sweet dreams!

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